Bains Romains, amours et fantaisies.…vu des Deux  Moulins
   
Le 16 mars1957, je me suis définitivement compromis avec les Bains Romains. Moi, personnage connu des Deux Moulins, équipier premier de l’O.D.M Volley-ball, jumeau devant l’éternel, je parjure en quelque sorte.
Je tombe amoureux d’Aline Roche, membre elle-même de l’équipe féminine de volley de l’O.C.T. J’en tombe donc amoureux et tout naturellement, je fréquente dès lors assidûment la plage Martin, qui est juste sous l’immeuble de " L’Île-de-France» , un curieux bâtiment, déguisé en transatlantique.
Je n’avais guère jusqu’alors dépassé la placette, où l’Olympique Côte Turquoise du président Dolbois recevait l’équipe très voisine (2,5 km) de l’Olympique des Deux Moulins. J’y avais même remarqué la grande profusion de jeunes filles, qui habitaient l’endroit. Il faut dire qu’a contrario les Deux Moulins étaient un véritable vivier de garçons. Nous n’avions quasiment pas de filles à courtiser et il nous fallait nous " exiler " pour avoir une chance de tromper nos éventuelles solitudes.

Me voilà donc à me dorer sur la plage Martin avec la jolie Aline, entrecoupant nos roucoulades de chasses sous-marines et de sorties en barque.
Quand mes amours, le volley-ball et mes études supérieures me laissent un peu de temps, je consolide mes amitiés déjà acquises aux Bains Romains (les frères Garcia Jean-Marc et notre regretté Hervé, Charles et Nano Schmeltz, Michèle Messager, Claude Réty, Anne-Marie Greck et Henri Bassas) et m’essaie à lier connaissance avec d’autres.

En particulier sur la plage il y a toujours des minots : Roland Farudja, Chounet Behm et un de ses copains que ma mémoire nomme, sauf erreur, Jacques Fiori. Ce dernier est particulièrement intéressé par mes prises de chasseur sous-marin.
Par contre ma génération, qui est représentée par Jean-Jacques Verdu, Jacques Brilloit et Georges Jean me snobent un peu, mais gentiment. J’attribue cette froideur au fait, que je  « chasse » sur leur terre et je ne parle plus là de poissons.
Seul le regretté Georges Jean me donnera du bonjour régulièrement. Sa disparition héroïque au combat en tant que sous-lieutenant chef de section, grade qui sera le mien au même moment me touchera très durement et j’ai très souvent, encore aujourd’hui, une pensée pour lui, accompagnée, mais on ne me changera pas, de frissons et de chair de poule. Je le salue à mon tour dans l’au-delà avec toute la fraternité d’armes que je lui dois.
Parmi toutes les figures marquantes des Bains Romains de l’époque, il est difficile de passer sous silence Badabou, toujours plus ou moins ivre mais combien sympathique avec sa bouille de poivrot impénitent et son unique jambe. Louis Banuls, le pêcheur, que je n’aurai jamais vu dans l’eau. Et pour cause, il ne savait pas nager. Sa mort, par noyade en Corse, ces dernières années, m’a consterné comme sûrement tous les Bains-Romanais, qui l’ont bien connu.
Les contraintes domestiques me mènent aussi à accompagner Aline à l’épicerie Martinez près de la placette, où Colette sert patiemment sa clientèle. Tout au fond vers la carrière Pérez, il y a la baraque bar " Chez Gaeto ", où certains finissaient la tournée des " églises ". Son concurrent direct est de l’autre côté du village vers Baïnem, en face des " Trois Arbres ", c’est aussi une petite baraque bien sympathique, celle de la famille Paturel, tenue par Madame Mère. Salut Robert !
Les " Trois Arbres ", je mets les guillemets volontairement, font partie des monuments des Bains Romains et je ne crois pas trahir en affirmant qu’ils ont souvent abrité le premier baiser de très jeunes nouveaux couples. Et il y a le petit chemin, pas celui de Mireille et Jean Nohain, l’autre celui qui monte vers la colline et accueille lui aussi, avec son petit " S " ombragé, les amoureux en quête de solitude. Moins cependant que le Belvédère, ou l’Archevêché, je n’ai jamais su le vrai nom. C’était selon l’interlocuteur, Jacquot Brilloit, il est vite devenu mon ami, je tiens à le préciser après l’aparté de tout à l’heure, est archiépiscopal sur l’endroit. Moi à l’époque de mes primes douces amours, j’avais d’interminables conversations romantiques avec Aline au Belvédère.
Et juste après il y avait les trois villas aux noms de bouillabaisse : les Girelles, les Arapèdes, et les Bigorneaux. Bien entendu, j’en avais remarqué les jolis noms sans pour autant savoir qu’elles appartenaient à la famille de Christian Lioré, qui sera parmi les plus assidus des retrouvailles des Bains Romains, trente à quarante plus tard à Soubès, sous le plateau du Larzac chez Jany Farudja et son mari Jean-Pierre Rozey, et ensuite à Aix en Provence chez Christian lui-même.
Aline, pendant mes périodes universitaires, continuait d’étudier le piano à l’Île-de-France avec mademoiselle Jocelyne Thirouin, qui l’avait initiée dès l’age de sept ans, d’une part et aux Beaux-Arts, rue des Généraux Morris square Bugeaud d’autre part. Jocelyne Thirouin avait un frère plus jeune, prénommé Marcel. Aline dispensait elle-même des cours musicaux à de petits élèves soucieux d’étudier le piano.
Le château Gras avec son beau jardin m’accueillait alors régulièrement comme professeur de mathématiques des enfants ou petits-enfants.
Mon statut d’étudiant supérieur en Physique Chimie à la Faculté d’Alger et le bouche à oreilles m’avait recommandé à l’attention de la famille des anisetiers. J’ai ainsi souvent dispensé mon savoir aux petits héritiers après avoir été introduit par un domestique et attendu que " Madame " m’amène la victime du jour.
J’avais en effet plusieurs élèves et ils étaient obligatoirement très studieux, car mon système de carnet relais avec les parents ou grands-parents était bigrement contraignant.
L’occupation de la villa par l’état-major de la 10° Division Parachutiste mit fin à mon cours de mathématiques, mais bien sûr, nous a aussi permis, à Aline et moi, de côtoyer sur la plage Martin même, le Général Massu, son épouse et les deux superbes sloughis, ou chiens lévriers arabes, qui les accompagnaient.
Elle permit aussi à Michèle Messager de faire la connaissance de son futur mari : Robert Loviat. Ce dernier, baroudeur parachutiste d’Indochine de Corée et d’Algérie, quand il était de repos, fréquentait la famille de la regrettée Poupée Vicient, elle-même très proche de Michèle et voilà comment se fait une destinée.
Quelle surprise pour nous de constater, à l’occasion d’une rencontre fortuite, dans une rue de Grasse, quelques années plus tard, après l’exode tragique, que nous habitions tous quatre avec nos mioches, Michèle et Robert, Aline et moi, la même ville, capitale mondiale des Parfums. L’anecdote est authentique. Nous habitons toujours la sous-préfecture des Alpes-Maritimes avec nos enfants et nos petits-enfants. Le dernier détail en italique ajoute une génération et une différence.
Philosophiquement j’observe que cette fantaisie épistolaire, destinée à un éventuel exemplaire de " la Bosse du chameau ", nous mène brutalement de l’amourette au Belvédère jusqu’à notre statut actuel de grands-parents multiples ! Oh que c’est rapide ! Nous étions si bien allongés sur la plage Martin à n’avoir que le souci de nous sucer un peu la poire et de faire de beaux rêves d’avenir. Et toc ! en un rien de temps après, nous voilà grands parents !

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